Motifs et décision – Fatemeh Shahin

Personne en cause : Fatemeh Shahin

Date de la décision et des motifs : 12 janvier 2024

Tribunal : Preeti Adhopia, Déléguée de la présidente

Conseil de la personne en cause : S/O

Motifs et décision

1. Introduction

[1] La présente décision concerne Fatemeh « Honeya » Shahin, qui s’est présentée à la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) en tant que représentante non rémunérée de nombreux demandeurs d’asile. La présente décision est rendue conformément à la Politique de traitement des plaintes présentées par la CISR contre les représentants rémunérés non autorisés (la Politique). La décision expose les motifs pour lesquels j’interdis à perpétuité à Mme Shahin de représenter et de conseiller quiconque ou de comparaître au nom de qui que ce soit dans une procédure devant une section de la CISR, quelle qu’elle soit.

2. Definitions

[2] Comme le prévoit le paragraphe 167(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la Loi), l'intéressé qui fait l'objet d'une procédure devant la CISR a le droit de se faire représenter par un conseil à ses frais. Le paragraphe 91(1) de la Loi prévoit que seules certaines personnes peuvent, moyennant rétribution, représenter ou conseiller un intéressé qui fait l'objet d'une procédure devant la CISR ou agir comme consultant auprès de lui. Selon le paragraphe 91(2) de la Loi, ces personnes sont les suivantes :

  1. les avocats qui sont membres en règle du barreau d'une province et les notaires qui sont membres en règle de la Chambre des notaires du Québec;
  2. les autres membres en règle du barreau d'une province ou de la Chambre des notaires du Québec, notamment les parajuristes;
  3. les membres en règle du Collège, au sens de l'article 2 de la Loi sur le Collège des consultants en immigration et en citoyenneté.

Les personnes ci-dessus sont des « représentants autorisés » au sens de la Politique. Cela dit, des représentants bénévoles peuvent comparaître devant la CISR. Cela désigne toute personne qui n'est pas rémunérée ni autrement rétribuée. Autrement dit, un « représentant non rémunéré ». Par conséquent, selon la section 2.4 de la Politique, toute personne qui n'est pas un représentant autorisé, tel qu'il est défini ci-dessus, et qui se déclare « représentant non rémunéré », tout en exigeant en réalité une rémunération ou une autre rétribution pour représenter un demandeur d'asile, le conseiller ou agir comme consultant auprès de lui, est un « représentant rémunéré non autorisé ».

3. Contexte

[3] La Politique énonce l’approche suivie par la CISR pour traiter les plaintes contre de prétendus représentants non rémunérés soupçonnés d’avoir demandé une rémunération pour leurs services. La section 3.3 de la Politique explique qu’elle vise à fournir un moyen de protéger l’intégrité des procédures de la CISR contre des infractions au Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement) commises par des représentants. Cette fonction se fonde sur le principe selon lequel la CISR est maître de ses propres procédures, sous réserve de toute loi et des principes d’équité et de justice naturelle.

[4] Conformément à la section 5.6(i), tout commissaire ou employé de la CISR possédant des renseignements pertinents peut exprimer des préoccupations suivant la Politique. En mai 2023, un gestionnaire de la SPR m’a fait part par écrit, alors que j’agissais à titre de vice-présidente adjointe par intérim, de certaines préoccupations concernant Mme Shahin, selon lesquelles elle pourrait être une représentante rémunérée non autorisée. Ces préoccupations étaient les suivantes :

  • À la date visée, Mme Shahin était une représentante non rémunérée dans plus de 40 affaires en instance devant la SPR, un nombre concordant avec la charge de travail à temps plein d'un avocat ou d'un consultant en immigration.
  • Une recherche sur les sites Web des barreaux des provinces et des territoires a révélé qu'elle n'était ni avocate, ni notaire au Québec, ni membre du Collège des consultants en immigration et en citoyenneté (CCIC).
  • Dans la plupart des cas, elle a été inscrite comme amie des demandeurs d'asile, mais, dans certains cas, elle était inscrite comme membre de la communauté ou de la famille. La façon dont elle s'était liée d'amitié avec un si grand nombre de demandeurs d'asile n'était pas connue.
  • Durant les quelques audiences de la SPR dans le cadre desquelles elle avait déjà comparu, elle a confirmé au dossier qu'elle était un membre de la famille ou une amie des demandeurs d'asile.
  • Dans de nombreux dossiers, le numéro de téléphone et l'adresse de Mme Shahin étaient ceux des demandeurs d'asile, bien qu'il y ait des champs distincts dans les formulaires pour inscrire les coordonnées des demandeurs d'asile et celles de leur représentant. Dans plusieurs cas où cela n'a pas été observé, de nombreux demandeurs d'asile ayant des dossiers différents semblaient partager la même adresse.
  • Mme Shahin vit à St. Albert, en Alberta, mais certains des demandeurs d'asile semblaient vivre en Colombie-Britannique et au Québec. La façon dont elle est entrée en contact avec des demandeurs d'asile d'autres provinces n'était pas connue.
  • Dans la grande majorité des cas, Mme Shahin a été inscrite comme représentante non rémunérée et comme interprète des formulaires Fondement de la demande d'asile (formulaires FDA) des demandeurs d'asile. Elle interprétait surtout du turc vers l'anglais, mais aussi du kurde, du persan, de l'arabe et du vietnamien vers l'anglais. Le fait d'agir à la fois comme représentante et comme interprète peut créer un conflit d'intérêts.
  • Les réponses de nombreux demandeurs d'asile aux questions de leurs formulaires FDA contenaient des expressions très semblables et, parfois, des récits de persécution très semblables.
  • Dans l'un des cas, Mme Shahin a présenté un formulaire dans lequel elle était désignée comme représentante d'un mineur accompagné d'un parent. Elle était également l'interprète du formulaire FDA. Là encore, cela pouvait créer un conflit avec son rôle de représentante.

À la lumière des observations qui précèdent, le gestionnaire de la SPR était préoccupé par le fait que Mme Shahin était rétribuée pour ses services, ce qui faisait d’elle une représentante rémunérée non autorisée.

4. Portée

[5] Certaines des préoccupations soulevées par le gestionnaire de la SPR concernent des questions qui vont au-delà de la question de savoir si Mme Shahin était rémunérée pour ses services. Par exemple, les problèmes liés aux coordonnées de Mme Shahin et des demandeurs d’asile qu’elle représente, les similitudes dans les formulaires FDA, sa qualité d’interprète des formulaires FDA, de représentante désignée et de représentante ainsi que sa compétence dans diverses autres langues constituent tous des enjeux qui ne relèvent pas de la Politique et qui ne seront donc pas pris en considération dans la présente affaire. De même, comme je le mentionnerai plus loin, la Politique ne tient pas compte d’une autre préoccupation qui a été soulevée, à savoir que Mme Shahin se présentait peut-être comme une avocate. La seule question à examiner dans la présente affaire consiste à savoir si, selon la prépondérance des probabilités, Mme Shahin exige une rémunération ou une autre rétribution pour représenter des demandeurs d’asile devant la SPR.

5. Procédure

[6] Dans le but de réaliser les objectifs de la Politique, la section 3.4 prévoit que la présidente de la CISR délègue son pouvoir général pour exercer la fonction d’examen conformément à la Politique. Selon la section 3.5, le délégué de la présidente est le vice-président adjoint de la section (du bureau régional visé par les faits à l’origine de la plainte). En tant que vice-présidente adjointe par intérim du bureau régional de l’Ouest de la SPR, je suis la déléguée de la présidente dans la présente affaire et j’ai procédé à un examen, comme je l’explique ci-dessous.

[7] À la réception du dossier, j’étais d’avis que la plainte du gestionnaire de la SPR au sujet de Mme Shahin méritait un examen plus approfondi et j’ai renvoyé l’affaire à la greffière régionale par intérim de la SPR conformément aux sections 5.6(i) et 5.6(ii) de la Politique. La greffière a recueilli des renseignements supplémentaires et préparé un rapport fondé sur la plainte écrite du gestionnaire de la SPR. Suivant la section 5.6(iii) de la Politique, ce rapport m’a été transmis, puisque j’étais la déléguée de la présidente. Comme j’ai estimé qu’il y avait suffisamment d’information pour poursuivre l’examen, la greffière a communiqué avec Mme Shahin par courrier recommandé le 29 juin 2023. Comme l’exige la section 5.6(v) de la Politique, la greffière a joint une copie du rapport décrivant les allégations, a demandé une réponse écrite dans les 30 jours et a informé Mme Shahin des conséquences d’un défaut de répondre. La greffière a de nouveau écrit à Mme Shahin par courrier recommandé le 27 novembre 2023 pour lui demander de répondre, dans les 14 jours, à une déclaration faite par un demandeur d’asile durant une entrevue, selon laquelle il devait rémunérer Mme Shahin. Cette information ne figurait pas dans le rapport antérieur de la greffière.

[8] Certaines des audiences où Mme Shahin devait comparaître avaient déjà eu lieu avant que son cas attire l’attention du gestionnaire de la SPR en mai 2023, mais de nombreuses affaires étaient en instance et le sont toujours. Conformément à la section 5.6(vi) de la Politique, les demandes d’asile en instance dont s’occupait Mme Shahin ont été mises en suspens, et, pour celles qui avaient déjà été mises au rôle, le président de l’audience a décidé s’il y avait lieu de procéder à l’audience. Au bout du compte, aucune autre audience n’a été tenue dans les affaires où Mme Shahin était inscrite comme représentante non rémunérée.

[9] La section 5.6(vii) de la Politique exige ce qui suit :

Après avoir examiné le dossier et la réponse du représentant, le cas échéant, le délégué du président détermine si la personne a, en fait, contrevenu au Règlement et, dans l’affirmative, si on devrait lui interdire de représenter une personne visée par une procédure ou de comparaître en son nom devant toutes les sections de la CISR, pour une période déterminée avec des conditions tel qu’ordonné par le délégué du président. Le délégué du président communique par écrit sa décision au représentant.

Mon examen et ma décision sont exposés ci-après.

6. Examen

[10] Dans le présent examen, j’ai tenu compte du volume de cas dont s’occupait Mme Shahin, de sa relation prétendue avec les demandeurs d’asile, des déclarations faites par les demandeurs d’asile au sujet de paiements à lui verser et de son défaut de donner suite à la plainte la visant après s’être vu offrir deux occasions de le faire.

a. Volume de cas devant la Section de la protection des réfugiés dont s’occupait Mme Shahin

[11] La charge de travail de Mme Shahin est importante. Cette dernière aurait figuré pour la première fois à titre de représentante non rémunérée dans les formulaires d’un demandeur d’asile devant la SPR en avril 2022. Elle a été inscrite pour la dernière fois à titre de représentante dans les documents d’un dossier de la SPR en mai 2023. Au moment de la rédaction de la présente décision, 11 des affaires dont elle s’occupait avaient été tranchées et 21 étaient en instance, et il y avait 47 affaires dans lesquelles les demandeurs d’asile avaient retiré son nom en tant que représentante après la mise en suspens de ces affaires. Une affaire dont elle s’occupait a également été instruite par la Section d’appel des réfugiés. Une liste complète des dossiers concernés est jointe à la présente décision. Comme la SPR ne dispose d’aucun moyen automatisé de faire une recherche dans son système de gestion des cas pour trouver les dossiers dans lesquels une personne a déjà représenté un demandeur d’asile, il y a peut-être encore plus d’affaires où le nom de Mme Shahin a été retiré avant que la SPR commence à suivre ses activités. La raison pour laquelle 47 demandeurs d’asile ont mis fin à leur relation avec elle au cours des derniers mois n’est pas claire, mais, dans 33 cas, ils semblaient avoir retenu les services d’un avocat ou d’un consultant en immigration. Il est possible que la décision de la SPR de mettre ses dossiers actifs en suspens pendant de nombreux mois ait causé un problème aux demandeurs d’asile qui cherchaient à faire progresser leur demande d’asile.

[12] La section 5.5 de la Politique énumère les indices susceptibles d’indiquer qu’un représentant qui affirme ne pas être rémunéré pourrait avoir fourni ses services contre rémunération ou autre rétribution. L’un de ces indices concerne des comparutions fréquentes à titre de représentant non rémunéré, comme c’est le cas dans la présente affaire. Selon les renseignements qui précèdent, au cours d’une période de 14 mois, Mme Shahin s’est occupée de 79 dossiers de la SPR, ce qui représente beaucoup de temps et de travail.

[13] Mme Shahin s’est vu offrir la possibilité de répondre à l’allégation selon laquelle sa lourde charge de travail ressemblait à celle d’une personne rémunérée, mais elle n’a fourni aucune explication. Compte tenu du grand nombre d’affaires dont elle s’est occupée en peu de temps et en l’absence d’explication à cet égard, j’estime, selon la prépondérance des probabilités, que la charge de travail de Mme Shahin reflète celle d’un avocat ou d’un consultant du CCIC rémunéré qui défend les droits des demandeurs d’asile à temps plein.

b. Relation de Mme Shahin avec les demandeurs d’asile

[14] Les représentants non rémunérés qui comparaissent devant la SPR sont souvent des membres de la famille ou des amis des demandeurs d’asile qu’ils représentent, et il s’agit parfois de membres de la communauté culturelle d’un demandeur d’asile. Lorsqu’ils désignent leur représentant dans leur formulaire FDA, les demandeurs d’asile peuvent choisir « avocat », « consultant en immigration », « membre de [la] famille » ou « autre personne ». Pour cette dernière option, ils doivent préciser le type de relation qu’ils entretiennent avec leur représentant.

[15] Dans 73 affaires, Mme Shahin a été inscrite comme amie des demandeurs d’asile (ou une combinaison d’amie, de membre de la famille ou de membre de la communauté). Il est peu probable que la relation de Mme Shahin avec autant de demandeurs d’asile en soit une d’amitié. De façon générale, les demandeurs d’asile sont de nouveaux arrivants au Canada qui présentent leur demande d’asile à leur arrivée ou peu après. Se lier d’amitié avec des dizaines de nouveaux arrivants au Canada – y compris 7 au Québec, 16 en Colombie-Britannique et 5 à Calgary – au cours d’une période de 14 mois n’est pas raisonnablement probable, d’autant plus que Mme Shahin vit dans une collectivité à l’extérieur d’Edmonton.

[16] Certains demandeurs d’asile ont confirmé que la nature de leur relation avec Mme Shahin n’était pas un lien d’amitié. Dans l’affaire VC2-09102, le demandeur d’asile a inscrit, dans son formulaire FDA, que Mme Shahin était une amie, mais il a ultérieurement retiré son nom à titre de représentante et, avant l’audience, il a trouvé un autre conseil. À l’audience du demandeur d’asile tenue le 2 juin 2023, Mme Shahin a été mentionnée durant le témoignage du demandeur d’asile. Voici une transcription partielle des questions de la présidente de l’audience et des réponses du demandeur d’asile.

Commissaire : Il est écrit ici que quelqu’un vous a aidé à remplir le formulaire. Il est écrit qu’une amie s’appelant Fatima Shaheen [transcription phonétique] vous a aidé à remplir le formulaire.

Demndeur d'asile : C’est exact.

Commissaire : Pouvez-vous me dire qui est cette personne?

Demndeur d'asile : C’était une avocate en Alberta, c’était une conseil et elle faisait également de la traduction et de l’interprétation pour moi.

Commissaire : Comment avez-vous rencontré cette personne?

Demndeur d'asile : (Parle en turc.)

Commissaire : Ça a coupé. Vous pouvez lui demander de répéter. Merci.

Demndeur d'asile : Elle était traductrice pour un de mes amis à ce moment-là. Je l’ai donc rencontrée par l’intermédiaire d’un ami et, comme j’étais assez nouveau moi- même, je lui ai également demandé de faire de la traduction et de l’interprétation pour moi.

Commissaire : Cette personne parle donc couramment le turc?

Demndeur d'asile : Pas couramment. Mais nous ne pouvions pas communiquer à 100 p. 100. Nous communiquions un peu.

Commissaire : Et a-t-elle traduit ce formulaire Fondement de la demande d’asile pour vous? L’a-t-elle fait gratuitement ou l’avez-vous rémunérée pour ce travail?

Demndeur d'asile : J’ai dû la payer.

Commissaire : Vous souvenez-vous du montant?

Demndeur d'asile : No,.

Le témoignage sous serment reproduit ci-dessus contredit l’idée que Mme Shahin était une amie. En fait, le demandeur d’asile croyait que Mme Shahin était une avocate. Comme il a été mentionné précédemment, Mme Shahin n’est ni membre d’un barreau ni membre du CCIC.

[17] Dans 15 affaires, Mme Shahin est également inscrite comme ayant un lien familial avec les demandeurs d’asile (ou comme étant un membre de la famille, un membre de la communauté ou une amie). Dans l’affaire VC2-09624, elle était inscrite comme membre de la famille des demandeurs d’asile dans tous les formulaires FDA. Cependant, son nom a par la suite été retiré du dossier, et les demandeurs d’asile ont retenu les services d’un avocat qui les a représentés à une audience tenue le 17 juillet 2023. À l’audience, l’un des demandeurs d’asile a réfuté la nature de la relation avec Mme Shahin lorsqu’il a déclaré sous serment qu’un ami qui était également un demandeur d’asile l’avait recommandée. Il a décrit Mme Shahin comme une interprète et une personne qui a assisté aux audiences relatives à la demande d’asile. Le demandeur d’asile a ajouté qu’elle devait assister à son audience jusqu’à ce qu’il décide de retenir les services d’un avocat.

[18] Dans les deux affaires décrites ci-dessus, le lien personnel de Mme Shahin avec les demandeurs d’asile s’est révélé faux, et la relation semblait plutôt être de nature professionnelle, Mme Shahin agissant présumément à titre d’avocate, d’interprète et de représentante aux audiences.

[19] Mme Shahin s’est vu offrir la possibilité de répondre à l’allégation selon laquelle elle se faisait passer pour une amie ou un membre de la communauté ou de la famille des demandeurs d’asile afin de cacher la rétribution qu’elle recevait, quelle qu’en soit la forme, mais elle n’a pas répondu. Comme deux demandeurs d’asile ont contredit la nature de leur relation avec Mme Shahin, il est peu probable qu’elle se soit liée d’amitié avec un si grand nombre de demandeurs d’asile vivant dans différentes villes ou provinces en peu de temps, en l’absence d’explication. J’estime que la nature de sa relation avec les demandeurs d’asile était probablement professionnelle.

c. Déclarations concernant des paiements versés à Mme Shahin

[20] Selon la section 5.5 de la Politique, des renseignements reçus d’anciens clients ou contenus dans les dossiers de la CISR peuvent indiquer qu’un représentant non rémunéré a exigé des honoraires ou une autre rétribution dans le passé pour agir comme représentant et comparaître devant la CISR.

[21] Comme il est mentionné dans la transcription partielle de l’audience de la SPR dans l’affaire VC2-09102, au paragraphe 16, le demandeur d’asile a dit avoir versé à Mme Shahin une somme d’argent inconnue. Bien que la commissaire ait seulement demandé au demandeur d’asile s’il avait payé Mme Shahin pour faire traduire le formulaire FDA, dans ses deuxième et quatrième réponses transcrites précédemment, le demandeur d’asile a dit que Mme Shahin était une avocate et qu’il lui avait « également » demandé de lui servir d’interprète, ce qui suppose qu’elle a fourni d’autres services. Il va sans dire que, de façon générale, les avocats sont rémunérés pour leurs services.

[22] L’affaire VC3-05141 de la SPR concerne un autre demandeur d’asile qui a fini par retirer le nom de Mme Shahin en tant que représentante. Mme Shahin a signé un formulaire Recours aux services d’un représentant le 21 décembre 2022, dans lequel il est précisé qu’elle est [traduction] « un ami ou un membre de [la] famille » qui représente le demandeur d’asile sans toucher de rémunération. Le 8 mai 2023, le demandeur d’asile a été reçu en entrevue par une conseillère aux audiences de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Selon les notes d’entrevue de la conseillère aux audiences, lesquelles font partie du dossier du demandeur d’asile devant la SPR, elle a eu l’échange suivant avec le demandeur d’asile :

[traduction]

Q : Vous avez déclaré avoir eu recours aux services d’une représentante rémunérée nommée Honeya ShahinNote de bas de page 1. Quels sont les honoraires que vous devez lui payer ou que vous lui verserez?

R : Je lui ai promis 1 500 dollars pour l’ensemble de son travail une fois l’audience terminée.

Q : Quels services votre représentante offre-t-elle?

R : Examen médical, toutes les communications écrites que nous recevons, elle les traduit pour nous. Chaque fois que nous devons communiquer en anglais, elle nous aide.

[…]

Q : Jurez-vous que toutes les déclarations que vous avez faites sont vraies et exactes?

R : Oui.

Les déclarations faites lors de l’entrevue et qui ont été reproduites ci-dessus révèlent que le demandeur d’asile devait verser 1 500 dollars à Mme Shahin à la fin de son audience. Les services de Mme Shahin mentionnés par le demandeur d’asile ne renvoient pas directement à une fonction de représentation, mais étant donné qu’il a admis la description qu’a faite la représentante de l’ASFC à l’égard de Mme Shahin en tant que sa « représentante rémunérée » et qu’il devait verser un paiement après la comparution de Mme Shahin à l’audience, et compte tenu de sa déclaration selon laquelle il payait pour l’« ensemble de son travail », je suis convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le service qu’il devait payer comprenait la représentation devant la SPR.

[23] La greffière a expressément demandé à Mme Shahin d’expliquer les déclarations des deux demandeurs d’asile au sujet d’un paiement qui devait lui être versé, mais elle n’a pas répondu. En l’absence d’explication, je suis d’avis, selon la prépondérance des probabilités, que l’un des demandeurs d’asile a payé Mme Shahin pour qu’elle le représente devant la SPR et que l’autre devait le faire.

7. Décision

[24] Je conclus que Mme Shahin agissait à titre de représentante rémunérée non autorisée pour les demandeurs d’asile devant la SPR, comme il est défini dans la Politique. Je fonde ma conclusion sur ce qui suit :

  1. Mme Shahin a été désignée comme représentante dans 79 affaires devant la SPR en 14 mois, un nombre correspondant à celui d’un spécialiste rémunéré.
  2. Il est peu probable que Mme Shahin se soit liée d’amitié avec autant de demandeurs d’asile, dont bon nombre vivent dans d’autres villes et provinces. Deux des anciens demandeurs d’asile dont s’occupait Mme Shahin ont également contredit l’idée qu’elle était leur amie ou un membre de leur famille.
  3. L’un des anciens demandeurs d’asile dont s’occupait Mme Shahin a déclaré qu’il l’avait payée, et un autre a déclaré qu’il devait lui verser 1 500 dollars après son audience.
  4. Mme Shahin n’a pas contredit les allégations formulées contre elle ni fourni d’explication, bien qu’elle se soit vu offrir la possibilité de le faire deux fois.

[25] Dans la décision Rezaei, la Cour fédérale a conclu que le pouvoir de la CISR de contrôler ses propres processus comprend la compétence d’empêcher quelqu’un de comparaître devant la CISR au nom d’une autre personneNote de bas de page 2. Cette conclusion a été tirée à l’égard d’un consultant en immigration plutôt que d’un représentant rémunéré non autorisé, mais rien dans la décision n’en limite l’application. Plus directement, dans la décision Domantay, la Cour fédérale a conclu ce qui suit :

[…] la Commission a l’obligation de s’assurer que ceux qui représentent les clients avec lesquels elle traite sont des représentants autorisés, conformément au Règlement, ou qu’ils ne sont pas rémunérés pour leurs services. Cette obligation vise à protéger les demandeurs et à préserver l’intégrité du système d’immigration du CanadaNote de bas de page 3.

Il est approprié d’interdire à Mme Shahin de comparaître devant la CISR, car sa conduite n’est pas conforme à la loi et constitue de l’exploitation à l’égard d’une population vulnérable qui, lorsqu’elle est capable de payer pour le service, devrait être représentée par une personne qualifiée.

8. Ordonnance

[26] Il est dès maintenant interdit à Mme Fatemeh Shahin de représenter et de conseiller quiconque ou de comparaître au nom de qui que ce soit dans le cadre de toute procédure devant une section de la CISR, quelle qu’elle soit. Cette interdiction restera en vigueur indéfiniment. Si Mme Shahin devenait membre en règle d’un barreau d’une province, de la Chambre des notaires du Québec ou du CCIC, cette interdiction pourrait être réexaminée.

[27] Je demande aux greffiers des quatre sections de la CISR d’aviser les personnes actuellement représentées par Mme Shahin de l’interdiction qui la vise.

Preeti Adhopia
Preeti Adhopia
Vice-présidente adjointe p. i.,
SPR

12 janvier 2024

Numéros de dossier des demandeurs d’asile devant la Section de la protection des réfugiés
Fatemeh Shahin
-Affaires en instanceAffaires régléesAffaires en instance – nom retiré à titre de conseilAffaires réglées – nom retiré à titre de conseil
1. MC3-12846 TC2-28908 VC3-00838 VC2-09624
2. VC2-07896 TC2-26908 VC3-01263 VC2-08569
3. VC3-00436 TC2-08924 MC3-13185 VC3-00959
4. VC3-00989 VC2-09539 VC3-01117 VC3-03480
5. VC3-01312 VC2-09147 VC3-02963 TC2-32257
6. VC3-01605 VC2-03052 TC3-10254 VC3-00137
7. VC3-01608 VC2-07595 VC3-02908 VC3-05382
8. VC3-01699 VC2-09255 VC3-03555 MC2-31132
9. VC3-01829 VC2-10578 VC2-10151 VC2-10065
10. VC3-01955 VC2-08301 VC3-01297 VC3-00957
11. VC3-02286 VC3-03058 VC3-05141 VC2-09102
12. VC3-02432 -VC3-00557 MC2-28956
13. VC3-02665 -VC3-03516 TC2-38538
14. VC3-02940 -VC2-04208 -
15. VC3-02949 -VC3-02904 -
16. VC3-02959 -VC3-02923 -
17. VC3-02960 -VC3-04632 -
18. VC3-02968 -VC3-02250 -
19. VC3-02989 -VC3-09342 -
20. VC3-03088 -MC3-43016 -
21. VC3-03677 -VC3-02988 -
22. --VC3-02119 -
23. --VC3-03437 -
24. --VC3-05633 -
25. --TC2-25265 -
26. --VC2-00882 -
27. --VC3-07208 -
28. --VC3-05654 -
29. --MC3-49812 -
30. --VC3-03355 -
31. --MC3-10278 -
32. --MC3-10311 -
33. --VC3-03081 -
34. --VC3-03116 -
Numéros de dossier des demandeurs d’asile devant la Section d’appel des réfugiés
Fatemeh Shahin
-Affaires en instanceAffaires régléesAffaires en instance – nom retiré à titre de conseilAffaires réglées – nom retiré à titre de conseil
1. -VC3-00191--