A.1. Règles de preuve
Les règles de preuve sont tirées de la jurisprudence et appliquées par les tribunaux pour s'assurer que les éléments de preuve sur lesquels ils s'appuient pour rendre une décision méritent de se voir accorder un certain poids. Comme il est expliqué au chapitre 2 du présent document, la Commission n'est pas liée par les règles légales ou techniques touchant la présentation de la preuve et elle peut admettre des éléments de preuve qui ne seraient pas admissibles devant un tribunal. Cependant, la Commission peut tenir compte de la justification de telles règles lorsqu'elle évalue le poids à accorder aux éléments de preuve.
A.1.1 Règle du ouï‑dire
A.1.1.1 Règle
[Traduction] « Les déclarations faites par écrit ou de vive voix ou les autres formes de communication faites ailleurs que dans le cadre de la procédure en cause sont inadmissibles si elles sont présentées pour faire foi de leur contenu ou pour prouver des assertions qui y sont implicitesNote de bas de page 397. »
A.1.1.2 Justification
On considère généralement que la preuve par ouï‑dire n'est pas digne de foi, notamment pour les raisons suivantes :
- l'auteur de la déclaration (le déclarant) n'a pas prêté serment et ne peut pas être contre‑interrogé;
- il est impossible d'observer l'attitude de l'auteur de la déclaration;
- la déclaration perd de son exactitude lorsqu'elle est répétée;
- l'admission d'une telle preuve pourrait entraîner une fraude;
- la preuve par ouï-dire pourrait faire en sorte qu'une décision se fonde sur une preuve secondaire, soit une preuve plus faible que la meilleure preuve disponible;
- la présentation de cette preuve pourrait allonger la durée des procèsNote de bas de page 398.
A.1.1.3 Exceptions
La preuve par ouï-dire peut être admise si elle est nécessaire pour établir un fait litigieux et la fiabilité du témoignageNote de bas de page 399.
« Le critère de la “fiabilité” – ou, suivant la terminologie employée par Wigmore, la garantie circonstancielle de fiabilité – dépend des circonstances dans lesquelles la déclaration en question a été faite. Si une déclaration qu'on veut présenter par voie de preuve par ouï‑dire a été faite dans des circonstances qui écartent considérablement la possibilité que le déclarant ait menti ou commis une erreur, on peut dire que la preuve est “fiable”, c'est‑à‑dire qu'il y a une garantie circonstancielle de fiabilitéNote de bas de page 400. »
La preuve par ouï-dire doit être suffisamment fiable pour surmonter les dangers découlant d'une capacité limitée à pouvoir vérifier la validité d'un tel élément de preuve. Le juge de première instance doit être convaincu que le contenu de la déclaration est si fiable que le contre‑interrogatoire aurait été peu ou pas utileNote de bas de page 401.
A.1.2 Règle de la meilleure preuve
A.1.2.1 Règle
[Traduction] « La loi ne permet pas à une personne de produire une preuve lorsqu'elle est en mesure d'en présenter une meilleureNote de bas de page 402. »
L'importance de cette règle a diminué au fil du temps, car la position selon laquelle il faut admettre tous les éléments de preuve pertinents, même s'ils ne sont pas les meilleurs qui soient, a gagné en popularité. Cependant, le poids accordé à des éléments de preuve qui ne sont pas les meilleurs existants peut être atténué lorsqu'une partie choisit de ne pas présenter les meilleurs éléments de preuve existants relativement à une question donnée.
A.1.2.2 Application de la règle
Alors que cette règle s'appliquait à l'origine à tous les types de preuve, elle a plus récemment été limitée dans son application et ne régit que la preuve
documentaire. Ainsi, si l'original d'un document est disponible, il doit être produit. Cette application peut ne pas être absolue vu la prolifération de technologies qui facilitent la création de copies numériques exactes. Cependant, l'authenticité d'un document demeure nécessaire à son admissibilité.
Cas où une preuve secondaire est admissible :
- L'original du document a été perdu ou détruit;
- l'original du document se trouve entre les mains d'une autre partie qui refuse de le produire;
- l'original du document est de nature officielle ou publique et il serait risqué ou non pratique de le retirer de l'endroit où il est gardé.
A.1.3 Témoignage d'opinion
A.1.3.1 Règle originale
Une personne peut témoigner seulement au sujet de ce qu'elle a réellement observé, et non au sujet de conclusions qu'elle a tirées de ces observations.
A.1.3.2 Justification
Il appartient au juge des faits de tirer des conclusions des faits qui sont établis.
Cependant, il a été considéré qu'il était impossible d'appliquer cette règle dans de nombreuses circonstances parce que la distinction entre les faits et les conclusions n'est pas toujours évidente.
A.1.3.3 Exceptions à la règle
Des exceptions historiques ont permis à des témoins de témoigner au sujet de l'identité de personnes et de lieux, de l'identification d'une écriture ainsi que de la capacité mentale et de l'état d'esprit d'une personne.
A.1.3.4 Règle actuelle
Maintenant, un témoin peut témoigner au sujet de conclusions qu'il tire de faits observés si le témoignage est utile au tribunalNote de bas de page 403. Comme c'est le cas pour tout élément de preuve, le tribunal doit décider du poids à accorder au témoignage d'opinion une fois que celui-ci est admis.
La preuve d'expert est une forme de témoignage d'opinion. « En règle générale, le témoignage d'expert est recevable pour donner à la cour des renseignements scientifiques qui, selon toute vraisemblance, dépassent l'expérience et la connaissance d'un juge ou d'un juryNote de bas de page 404 […] »
Dans le cadre de procédures judiciaires, il y a quatre critères d'admissibilité de la preuve d'expert : sa pertinence, sa nécessité, l'absence de toute règle d'exclusion et la qualification suffisante de l'expertNote de bas de page 405.
Dans l'arrêt
White Burgess Langille InmanNote de bas de page 406, la Cour suprême du Canada a déclaré qu'un expert a, à l'égard du tribunal, l'obligation de fournir une preuve juste, objective et impartiale. S'il ne s'acquitte pas de cette obligation, il ne possède pas la qualification suffisante pour exercer ce rôle.
A.1.4 Preuve intéressée
A.1.4.1 Règle
À l'origine, une preuve intéressée n'était pas admissible lorsqu'elle était produite pour démontrer la crédibilité d'un témoin, sauf si cette crédibilité avait préalablement été mise en doute. La Cour suprême du Canada a modifié cette règle. Dorénavant, une preuve intéressée est admissible quant au fond si elle découle d'une autre partie que l'accusé, et qu'elle est fiable et nécessaireNote de bas de page 407.
La règle est habituellement utilisée pour exclure des déclarations compatibles antérieures faites par le témoin, mais elle s'applique également aux témoignages hors cours qui sont entièrement intéressés.
A.1.4.2 Justification
Cette règle se justifie par le risque de fabrication de preuve, la notion du fait que les répétitions ne rendent pas une preuve plus digne de foi et le risque que le tribunal perde du temps à entendre la preuve intéressée si la crédibilité n'est pas en cause.
A.1.4.3 Application de la règle
Une preuve intéressée peut être présentée, lorsque la question de la crédibilité est soulevée, uniquement pour appuyer la crédibilité et non pour faire foi de son contenu.
Des déclarations compatibles antérieures peuvent être admises en preuve seulement pour les raisons suivantesNote de bas de page 408 :
- repousser les allégations de fabrication récente;
- établir l'identité de l'accusé par un témoin oculaire;
- prouver une plainte récente présentée par la victime d'une agression sexuelle;
- établir qu'une déclaration fait partie de la
res gestae (c'est‑à‑dire une déclaration faite dans le cadre d'une transaction, qui est tellement rapprochée de celle‑ci dans le temps qu'elle en fait partie) ou prouver l'état physique, mental ou émotif de l'accusé;
- prouver qu'une déclaration a été faite lors de l'arrestation;
- prouver qu'une déclaration a été faite lors de la récupération des objets incriminants.
A.1.4.4 Exceptions
Une preuve intéressée est admissible quant au fond ou fait foi de son contenu si elle est a) présentée par une autre personne que l'accusé, ainsi que et b) fiable et nécessaireNote de bas de page 409.
A.2
Loi sur la preuve au Canada
A.2.1 Pièces commerciales
Selon l'article 30 de la
Loi sur la preuve au CanadaNote de bas de page 410, « une pièce établie dans le cours ordinaire des affaires » peut être admise en preuve. Le paragraphe 30(6) énonce certains des facteurs qui peuvent être pris en considération aux fins de déterminer la valeur d'une telle preuve, notamment les « circonstances dans lesquelles les renseignements contenus dans la pièce ont été écrits, consignés, conservés ou reproduits ».
A.2.2 Affidavits et serments recueillis à l'étranger
Les
articles 52 et 53 de la
Loi sur la preuve au Canada précisent quelles personnes peuvent déférer des serments et des affidavits à l'étranger.
Les serments déférés à l'étranger par des personnes qui ne sont pas nommées aux articles 52 ou 53 peuvent se voir attribuer moins de poids. De plus, les circonstances dans lesquelles un serment a été déféré doivent être prises en considération pour déterminer la valeur à accorder à la preuve.
Par souci de clarté, la Commission ne devrait cependant pas refuser d'admettre en preuve un affidavit simplement parce qu'il n'est pas conforme à la
Loi sur la preuve au CanadaNote de bas de page 411.
A.2.3 Preuve de la loi étrangère
L'article 23 de la
Loi sur la preuve au Canada décrit le mode de preuve des procédures judiciaires ou des dossiers des tribunaux étrangers.
Dans la décision
SanduNote de bas de page 412,la Commission a admis en preuve une photocopie d'un jugement rendu par un tribunal indien en s'appuyant sur l'alinéa 65(2)c) de la
Loi sur l'immigration. Une telle photocopie n'aurait pas été admissible suivant l'article 23 de la
Loi sur la preuve au Canada, mais l'article 23 avait tout de même été appliqué pour établir la valeur qu'il fallait attribuer à l'élément de preuve.
A.2.4 Capacité de témoigner du témoin
L'article 16 de la
Loi sur la preuve au Canada prévoit la procédure à suivre pour établir si une personne âgée de 14 ans ou plus, mais dont la capacité mentale est compromise, devrait être autorisée à témoigner.
A.2.5 Admission d'office
Les
articles 17 et 18 de la
Loi sur la preuve au Canada prévoient que les lois fédérales et provinciales sont admises d'office par les tribunaux.
A.2.6 Authentification de documents électroniques
Selon l'article 31.1 de la
Loi sur la preuve au Canada, l'admission de documents électroniques en preuve est permise si la personne qui cherche à les faire admettre en preuve en établit l'authenticité. Suivant la
Loi sur la preuve au Canada, tout document électronique satisfait à la règle de la meilleure preuve dans les cas suivants : a) la fiabilité du système d'archivage électronique au moyen duquel ou dans lequel le document est enregistré ou mis en mémoire est démontrée; b) une présomption est établie concernant des signatures électroniques sécuritairesNote de bas de page 413.
A.2.7 Non-divulgation de renseignements d'intérêt public
Les
articles 37 à 38.16 de la
Loi sur la preuve au Canada portent sur la mise en équilibre nécessaire lorsqu'il est question de communication d'éléments de preuve pouvant avoir une incidence sur un intérêt public déterminé, les relations internationales ou encore la défense ou la sécurité nationales dans les procédures judiciaires ou d'autres procédures. Les renseignements peuvent être considérés comme protégés. Le procureur général du Canada doit être avisé par un participant ou un représentant (à l'exclusion du participant) qui croit que des renseignements délicats ou potentiellement préjudiciables sont sur le point d'être divulgués au cours d'une procédure.
Similairement, la
Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés prévoit la possible non‑divulgation de renseignements protégés dans le cadre des procédures de la Section de l'immigration et de la Section d'appel de l'immigrationNote de bas de page 414. La Section de la protection des réfugiés peut consulter l'article 38.01 de la
Loi sur la preuve au Canada pour obtenir des directives sur la procédure à suivre en cas de divulgation imminente de renseignements de nature délicate dans le cadre d'une procédure.