Discussion sur les documents de voyage somaliens avec un représentant d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada

Le 18 octobre 2017, la Direction des recherches de la CISR a invité le gestionnaire de la Section de la planification stratégique et de l’exécution du Réseau international d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, à fournir davantage de renseignements sur les titres de voyage délivrés aux Somaliens. La Direction des recherches demande régulièrement des avis d’experts ainsi que fait des recherches sur les pays d’origine et d’autres questions connexes qui pourraient avoir une incidence sur une décision. Voici la transcription intégrale de cette discussion.

Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada encadre la venue des immigrants, offre de la protection aux réfugiés et, par ses programmes, aide les nouveaux arrivants à s’établir au Canada. Le ministère est également responsable d’accorder la citoyenneté et de délivrer des titres de voyage (comme des passeports) aux Canadiens.


Brièvement, en guise d’introduction, je suis gestionnaire à la Section de la planification stratégique et de l’exécution du Réseau international d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC). Je suis responsable de nos missions en ce qui concerne le risque et l’admissibilité. La Somalie est donc un pays qui suscite mon intérêt. J’ai récemment été affecté à l’étranger à titre de gestionnaire de programme au haut-commissariat du Canada à Pretoria, où nous avons eu un flux assez important de Somaliens et une importante clientèle somalienne.

Je me réfère premièrement en anglais, mais si vous avez des questions en français naturellement je suis prêt à y répondre en français. Et si vous avez des questions ou si mes propos ne sont pas clairs, arrêtez-moi et posez-moi des questions parce qu’il m’arrive de juste prendre pour acquis que les gens savent de quoi je parle alors que ce n’est pas le cas.

On m’a demandé de parler des titres de voyage canadiens dont ont besoin les Somaliens. C’est un domaine un peu complexe. Comme vous le savez peut-être, nous avons un certain nombre de bureaux à l’étranger. Je crois qu’il y en a actuellement 57, dont la plupart sont responsables, pour les pays au sein de leur territoire, de la délivrance de documents, qu’il s’agisse de visas de résident temporaire, de visas de résident permanent ou de tout autre type de document.

En ce qui concerne la Somalie, le pays de responsabilité ou le poste de responsabilité est Nairobi. Donc, si les gens vivent en Somalie, leur demande devrait normalement être envoyée au haut-commissariat du Canada à Nairobi. La façon dont nous procédons actuellement, c’est que les demandes peuvent aussi être présentées en ligne, puis elles sont normalement triées et renvoyées au haut‑commissariat du Canada à Nairobi. Si la personne a une résidence ou réside dans un autre pays, il se peut que sa demande soit traitée par l’un de nos autres postes.

Cela dit, je pense que la plupart des demandes de nos demandeurs somaliens sont traitées par le haut-commissariat à Nairobi. Il y a aussi un important flux de demandeurs d’asile somaliens qui sont actuellement au Kenya, de sorte que le personnel de ces bureaux a l’habitude de traiter avec cette clientèle.

La Somalie nous pose un problème, surtout en ce qui concerne le processus de délivrance des visas de résident temporaire, car le passeport somalien a été désigné comme étant un document inacceptable pour venir au Canada. En d’autres mots, nous n’acceptons pas le passeport somalien comme document valide. Donc, en théorie, aucun visa de résident temporaire ne devrait avoir été collé à un passeport somalien par l’une de nos missions, jamais. Par conséquent, si vous ne voyez pas de visa de résident temporaire dans les passeports, c’est que nous ne les mettons pas là.

Il est bien évident que nous adoptons la même démarche qu’un certain nombre d’autres pays, à savoir le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l’Allemagne, la plupart des pays de l’Union Européenne, mais pas l’Italie. Ce n’est donc pas aussi cohérent que nous le souhaiterions, mais le Canada n’est certainement pas le seul pays à ne pas reconnaître le passeport somalien.

Bien que je n’aie pas pris part à la décision de désigner le document somalien, qui est désigné depuis maintenant bien au-delà de 10 ans, voire près de 20 ans sans doute, je crois comprendre que cette décision est attribuable à la méfiance à l’égard de l’autorité centrale responsable de la délivrance du document somalien. À l’époque, la Somalie était dans son état actuel d’insurrection appréhendée, des passeports vierges circulaient librement en plusieurs endroits et on ne savait pas vraiment qui contrôlait la délivrance des passeports et, aujourd’hui encore, on ne sait pas clairement en fonction de quels critères sont délivrés les passeports. Voilà donc pourquoi nous ne délivrons pas de visas canadiens ou nous ne collons pas de visas canadiens à un passeport somalien.

Cela nous amène à nous poser cette question : Comment un Somalien s’y prendrait-il pour se procurer un visa pour venir au Canada? Nous avons des moyens de contourner le problème. Si nous sommes persuadés que la personne vient au Canada pour un séjour temporaire, nous pouvons lui délivrer un visa appelé « document de voyage d’aller simple ». Il s’agit d’une feuille de papier sur laquelle est apposée la vignette des visas de même qu’une photo du titulaire; ce document lui permet d’entrer au Canada pour un séjour à titre de visiteur. Ces documents ne sont pas très courants, mais ils existent et nous en verrons. Ils peuvent aussi être délivrés à des résidents canadiens qui sont coincés à l’extérieur du Canada et qui n’ont pas de titres de voyage leur permettant de revenir au pays.

Ce sont donc de tels documents que nous délivrons normalement aux Somaliens. Il y a aussi bien sûr une importante diaspora somalienne dans de nombreux autres pays, et s’ils se trouvent dans un pays comme la Suède ou le Danemark, ils voyageraient normalement munis de titres de voyage pour réfugiés ou de certificats d’identité délivrés par ces pays. Bien entendu, nous pouvons apposer ces documents aux visas de résident temporaire et nous le faisons.

Dans le cas de la Somalie, nous sommes aux prises avec une autre situation : la biométrie, et cela complique les choses encore une fois. Les données biométriques sont requises d’un certain nombre de pays, une trentaine je crois. Pour que nous examinions une demande, elle doit comporter les données biométriques que sont les empreintes digitales des deux mains. Règle générale, les empreintes digitales sont soumises à l’un de nos centres de traitement des demandes de visa. Il y a des centres de traitement des demandes de visa dans 150 endroits partout dans le monde, à ce que je sache. Il n’y en a aucun en Somalie; le plus près se trouve à Nairobi, au Kenya.

Il faudrait donc que la personne se rende là-bas et présente ses données biométriques avant que nous puissions lui délivrer un visa; ces données biométriques sont vérifiées par rapport à la base de données centrale canadienne, c’est-à-dire aux dossiers d’immigration antérieurs, et également par rapport aux systèmes de police. Le délai de réponse pour la vérification des données biométriques est relativement rapide. Ça ne prend en général que quelques minutes, mais le délai de traitement habituel est de 72 heures, je crois, au cas où le traitement exige une intervention manuelle. Mais, normalement, si les empreintes sont claires et qu’il n’y a rien dans le système, nous obtenons une réponse très rapidement. Donc, dans un endroit comme à Nairobi, il faudrait que la personne se présente là-bas, soumette sa demande, puis qu’elle vienne faire prendre ses empreintes digitales et qu’elle attende qu’une décision soit rendue avant que nous décidions d’inclure un visa dans un document de voyage d’aller simple.

Q. Et combien de temps cela peut-il prendre?

R. À l’heure actuelle, notre norme de service est de 14 jours pour les visas de résident temporaire, mais je peux vous dire que seulement trois des 57 missions parviennent en ce moment à respecter le délai des 14 jours; les délais sont plus longs, parfois même beaucoup plus longs, dans les autres missions. À Lagos, je crois qu’il faut compter environ 98 jours; le délai de traitement est donc très long.

C’est un cas compliqué parce qu’il s’agit d’un document de voyage d’aller simple. Il faut généralement plus de temps que moins de temps. Le délai de 14 jours est donc impossible à respecter, il faudra plus de temps que ça. De plus, il nous faut effectuer une vérification de sécurité en ce qui concerne la Somalie, la plupart des citoyens somaliens. Ces vérifications sont effectuées par l’entremise de l’Agence des services frontaliers du Canada et nos partenaires du Service canadien du renseignement de sécurité. Elles peuvent prendre au minimum 14 jours. En cas d’urgence, nous pouvons demander que ces vérifications soient faites plus vite, ce qui est également possible. Grosso modo, c’est de cette façon que nous délivrons les visas et les documents somaliens; vous ne les verrez donc pas dans les documents somaliens; ils figureront sur un bout de papier et oui, c’est ainsi que nous procédons.

Q. Donc, si vous me le permettez?

R. Absolument.

Q. Une personne qui souhaite obtenir ce type de document devra fort probablement entrer au Kenya et en sortir?

R. C’est exact, ou ailleurs.

Q. Alors, comment pouvons-nous communiquer avec eux?

R. Normalement, nous communiquons avec eux par courriel.

Q. Par courriel?

R. Oui. Notre système fait les choses par courriel et c’est la façon la plus efficace que nous ayons trouvée pour communiquer avec les gens. Ce n’est pas à toute épreuve, mais c’est certainement la meilleure façon dont nous disposons et qui fonctionne dans la plupart des endroits.

Q. Et je présume que la durée du permis peut varier, six mois ou quoi?

R. Oui. Normalement, nous délivrons un visa de résident temporaire qui serait valide, en l’espèce, pour une seule entrée au Canada pour un séjour maximal de six mois. Nous pouvons cependant délivrer un visa à entrées multiples valide pour une période pouvant aller jusqu’à trois ans. Toutefois, avec le document de voyage d’aller simple, il serait sans doute préférable d’obtenir un visa à chaque fois.

Q. Les gens qui sont dans des camps comme celui de Dabad, par exemple, peuvent-ils aller présenter une demande?

R. N’importe qui peut demander un visa. Lorsque nous rendons une décision au sujet du visa, nous devons établir si la personne va se rendre au Canada, puis quitter le Canada à la fin de son séjour autorisé et avoir la possibilité de rentrer dans son pays. Par conséquent, si une personne a un statut limité dans un pays comme le Kenya, il y a de fortes chances que nous n’envisagions pas lui délivrer un visa si elle ne pouvait pas retourner au Kenya. Il nous faudrait une garantie qu’elle puisse revenir avant que nous envisagions la délivrance d’un document.

Q. Quelles pièces d’identité vous remettent les gens pour obtenir des visas de résident temporaire (VRT)?

R. Les documents en Somalie sont généralement douteux, il nous est donc très difficile de préciser les documents que nous acceptons. Règle générale, nous, en immigration, aimons les vieux documents. Plus un document est vieux, plus nous sommes heureux parce que cela signifie que le récit a été constant très longtemps. Mais les pièces d’identité, c’est très problématique. Les gens vont sans doute présenter leur passeport somalien; nous allons l’examiner. Nous allons examiner d’autres situations. Nous examinerons les lettres ou les affidavits que quelqu’un pourrait avoir, mais c’est très difficile pour nous, car les documents laissent tellement à désirer.

Q. Avez-vous une équipe ou un groupe responsable des documents frauduleux?

R. Nous sommes tous responsables des documents frauduleux et nous avons des agents qui sont chargés plus précisément de ce travail, oui, et vous devriez examiner un document. Si je me fie à mon expérience avec les réfugiés somaliens à Pretoria qui se sont rendus au Canada dans le cadre du programme des réfugiés, nous n’avons accordé aucun poids aux documents. Nous avons interviewé la personne, nous avons comparé notre entrevue avec celle du Haut-Commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés (HCR) et nous recherchions une certaine constance au fil des ans. Parce que si j’avais demandé un document, il aurait sûrement été produit, mais on m’aurait remis des documents en anglais, et non, un document ne peut être produit en anglais. Il ne valait donc pas grand-chose.

Cependant, il arrive souvent que des documents soient délivrés si les gens résident dans un deuxième pays à titre de demandeurs d’asile. Par exemple, il se peut que des documents soient délivrés au Kenya ou en Afrique du Sud. Par exemple, nous avons vu des certificats de naissance délivrés en Afrique du Sud à des enfants nés en Afrique du Sud; nous en avons vu. En fin de compte, le HCR disposerait de documents parce qu’il a traité avec quelqu’un au fil du temps, et également si des changements sont survenus dans la configuration familiale, cela se refléterait dans le formulaire d’enregistrement aux fins de réétablissement (FER).     

Q. Avez-vous des renseignements au sujet du groupe d’âge des personnes qui demandent un visa ou qui finissent par en recevoir un?

R. Je n’en ai pas. Je dirais que qu’une personne aura du mal à nous convaincre de lui délivrer un VRT en Somalie. Elle devra nous donner une très bonne raison pour laquelle elle voudrait rentrer chez elle avant que nous lui délivrions un VRT. Nous avons délivré le VRT sous forme de titre de voyage aller simple pour les fonctionnaires somaliens qui venaient au Canada pour diverses raisons. Ils ont de bonnes raisons de rentrer chez eux, mais n’ayant pas servi à Nairobi, je ne peux pas vous dire quels autres types de VRT sont délivrés, mais je soupçonne qu’il y en a très peu.

Q. Vous n’acceptez pas le passeport somalien, mais vous n’avez pas mentionné ce qu’il en est aux États-Unis. Savez-vous s’ils l’acceptent?

R. Je ne crois pas non plus qu’ils acceptent le passeport somalien. Je n’en suis sûr qu’à 90 %, mais je sais que les Italiens l’acceptent et qu’ils étaient l’exception.

Q. Avez-vous vu la nouvelle carte d’identité nationale?

R. Je ne l’ai pas vue. Les demandeurs somaliens avec qui j’ai traité étaient pour la plupart à l’extérieur de la Somalie depuis un certain temps. J’ignore la raison pour laquelle est délivré ce document.

Q. La Somalie produit maintenant de nouveaux documents biométriques, par exemple le passeport somalien, et je présume qu’il y a peut-être d’autres documents plus sûrs. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?

R. La question serait la suivante : « Quel est le processus de délivrance d’un bon document? » Ce qui nous préoccupe, c’est que nous ne saurions pas comment ils sont délivrés ni sur quelle base. Normalement, pour ce genre de chose, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) fait une visite sur place et essaie de déterminer auprès de l’autorité responsable de la délivrance des passeports dans quelles circonstances elle délivre les documents.

Q. Même les documents biométriques?

R. Oui, parce que la délivrance d’un document biométrique à qui que ce soit, s’il n’y a pas de règles ou s’il n’y a pas de documents à l’appui, c’est un beau document authentique, mais qu’en est-il de l’identité - est-elle correcte? Nous ne le savons pas.

Q. L’ASFC se rend-elle en Somalie visiter des sites pour se renseigner?

R. Non. Mais elle le fait lorsque d’autres pays délivrent de nouveaux documents. Nous essayons d’aller voir. Ce ne sont pas tous les pays qui nous autorisent l’accès à leurs autorités de délivrance de passeports, mais l’ASFC essaie d’aller leur rendre visite. Et, chose certaine, c’est le cas lorsqu’il s’agit de la levée de l’obligation d’obtenir des visas, nous devons être satisfaits que les documents sont délivrés de façon appropriée.

Q. Monsieur, existe-t-il une façon de savoir quels sont les documents contrefaits ou fabriqués ou quelque chose du genre?

R. Non, pas facilement. Et je ne l’ai pas avec moi parce que je l’ai laissé en Afrique du Sud, mais j’avais un passeport somalien.

Q. En tant que diplomate somalien?

R. Non. J’avais simplement un passeport somalien régulier.

Il y a une vingtaine d’années, le ministre de l’Immigration nous a rendu visite à Nairobi, et l’un des chauffeurs s’est rendu au marché pour voir s’il pouvait se procurer un passeport somalien et, moyennant 100 dollars, il a obtenu une boîte pleine de passeports. Tout le monde en a donc reçu un. À l’époque nous nous demandions si le document valait quoi que ce soit? C’est l’ancien document et ce n’est pas comme le nouveau et je suis un peu facétieux, mais le problème n’est pas tant la qualité du document en soi que la qualité du processus qui mène au document.

Q. Quels sont donc les critères permettant de déterminer la spontanéité du demandeur de VRT?

R. Cela peut varier. Chaque cas est particulier et examiné individuellement. Lorsque nous prenons une décision concernant un VRT, nous devons soupeser la raison pour laquelle l’individu veut aller au Canada par rapport à sa volonté de retourner chez lui. Et la plupart des gens ne sont pas très motivés à retourner en Somalie parce que la plupart, pour ne pas dire tous, nous savons où nous ne voudrions pas être.

Il vous faut donc examiner les raisons d’y retourner. Cela peut varier. Nous examinerions à partir de quel endroit ils prennent l’avion, en Somalie, selon la situation militaire et autres. Donc, s’il s’agit d’une région plus stable, nous sommes plus susceptibles de délivrer un visa. Nous examinons leur situation personnelle, leur emploi, leur situation financière en Somalie, leurs liens avec le pays, et c’est ce que nous faisons pour tous les VRT, et soupesons tous ces facteurs.

Les documents posent problème. Si quelqu’un a une entreprise en Somalie, mais que l’entreprise est présente sur le Web; c’est donc une façon de vérifier. Nous avons vu beaucoup de choses dans le secteur des télécommunications, ils ont des preuves, mais il ne s’agit habituellement pas de documents en provenance de la Somalie. Ce sont toutefois les documents qu’ils présentent, parce qu’ils pensent que nous les trouvons plus crédibles et ils ont raison.

Q. Un élément important dans les demandes d’asile de Somaliens est que certains disent appartenir à tel ou tel clan. Ils soutiennent avoir plus de problèmes parce qu’ils viennent d’un clan minoritaire.

R. Le clan, oui. Eh bien, s’agit-il d’un sujet qui est abordé avec la personne pendant votre entrevue? Pour un VRT, non; pour le statut de réfugié au Canada, oui.

Donc, si vous traitez une demande d’asile, vous allez demander à quel clan, à quel sous-clan appartient la personne et son emplacement géographique et essayer de mettre ces renseignements en contexte. Ah oui, il y a beaucoup de ce clan dans cette région ou il n’y en a pas beaucoup. Alors oui, nous examinons cela dans le contexte des demandes d’asile, mais pas dans une demande de VRT.

Q. Pourriez-vous nous donner des statistiques sur le nombre de demandes de VRT?

R. Je n’en ai pas.

Q. Entre nos ambassades, disons Addis-Abeba ou Johannesburg?

R. Pretoria.

Q. Je présume que vous avez échangé de l’information sur les pratiques, et sur les nouveaux trucs des passeurs, pouvez-vous nous en parler brièvement?

R. Nous le faisons, mais encore une fois, nous n’allons pas en voir beaucoup dans les demandes de VRT. J’ai passé cinq ans en Afrique du Sud; nous avions une importante population somalienne. Je crois avoir vu trois demandes de VRT en cinq ans, et mon agent de l’ASFC a vu des dizaines de Somaliens partir de l’Afrique du Sud pour se rendre au Brésil et en Amérique du Sud apparemment pour poursuivre leur route vers le Nord. Mais la plupart ne faisaient pas de demande de VRT, parce qu’ils savaient qu’ils avaient peu de chances d’en obtenir un. Quand j’étais en Europe, on voyait souvent des demandes de Somaliens, mais il s’agissait de gens qui avaient le statut de résident dans l’un des pays européens.

Q. Ma question découle de votre expérience avec l’Afrique du Sud, étant donné que la plupart des demandeurs d’asile que nous voyons ici viennent de l’Afrique du Sud. Ils semblent passer par le Brésil et l’Amérique du Sud, l’Amérique centrale, le Mexique, puis les États-Unis.

R. Oui.

Q. Vous avez dit que personne n’avait vraiment montré ses documents de réfugiés de l’Afrique du Sud?

R. C’est parce qu’ils ne veulent pas.

Q. Si une personne vivait et était inscrite comme réfugié en Afrique du Sud, les autorités sud-africaines auraient-elles ces renseignements?

R. Oui, les autorités sud-africaines auraient les dossiers quelque part. Quant à savoir si elles seraient en mesure de les trouver pour nous les communiquer, cela reste à voir. Parfois, nous avons obtenu cette information, mais souvent non. Tous ceux qui vont en Afrique du Sud et qui présentent une demande obtiennent un document du gouvernement sud‑africain.

Donc, en Afrique du Sud, lorsque vous présentez une demande d’asile, la première chose qu’ils font, c’est de vous remettre un permis temporaire pour vous permettre de rester dans le pays; le permis est valide jusqu’à ce qu’ils examinent votre demande. Ainsi tout le monde devrait avoir un permis, ou une copie, et si ce n’est pas le cas, c’est qu’ils vous mentent. Par la suite, ils obtiennent un statut ou pas. S’ils obtiennent un statut, un document du gouvernement sud-africain leur sera remis leur accordant ce statut pour un certain temps, habituellement trois ans, qui est renouvelable plus ou moins infiniment, ou ils recevront un refus et ils peuvent interjeter appel de ce refus. Tout cela est consigné. Les Sud-Africains fournissent les documents. Mes « clients » somaliens en Afrique du Sud ont habituellement les documents plastifiés avec eux en tout temps.

Q. Est-ce qu’on recueille les données biométriques des demandeurs d’asile en Afrique du Sud?

R. Pas encore. Ils espéraient le faire quand j’y étais. Mais je ne sais pas dans quelle mesure le projet a avancé. Il y a un an que je suis parti, il se pourrait que les choses aient changé. Encore une fois, je ne sais pas s’ils nous communiqueraient de tels renseignements compte tenu de leurs lois sur la protection de la vie privée, probablement pas.

Q. Mon autre question est la suivante : savez-vous si les demandeurs d’asile en Afrique du Sud sont également inscrits auprès du HCR?

R. La plupart d’entre eux ne le sont pas, mais ils peuvent l’être. La plupart d’entre eux présentent une demande directement au gouvernement de l’Afrique du Sud.

Q. Vous dites que, en Afrique du Sud, une fois qu’une personne obtient le statut, ce statut peut être renouvelé de façon indéfinie. Savez-vous quelle est la démarche pour le renouvellement ou s’il s’agit d’un processus discrétionnaire?

R. Si vous avez obtenu le statut de réfugié en Afrique du Sud, les autorités continueront de le renouveler tous les trois ans, pour une période de trois ans à chaque fois, sauf s’il y a eu un changement important dans le pays d’origine. Ainsi, durant mon séjour, le seul groupe dont le statut de réfugié n’a pas renouvelé était les Angolais. – Excusez-moi, vous avez bien dit les Angolais? – Oui, les Angolais, qui se trouvaient au pays depuis 15 ou 20 ans.

En Afrique du Sud, il est également possible de présenter une demande de résidence permanente à titre de réfugié. Ainsi, si vous avez le statut de réfugié en Afrique du Sud, vous pouvez demander la résidence permanente. C’est une démarche difficile, mais elle existe et il arrive que des gens obtiennent la résidence permanente en Afrique du Sud et, par la suite, évidemment, il est possible d’acquérir aussi la citoyenneté.

Q. Y a-t-il une façon pour IRCC de savoir ou de vérifier si une personne a acquis la résidence en Afrique du Sud?

R. Je ne pense pas que les Sud-Africains nous le diraient d’une manière qui nous permettrait de le divulguer. Pour cela, il faudrait négocier un protocole d’entente, soit entre l’ASFC et le gouvernement de l’Afrique du Sud, ou entre IRCC et le gouvernement de l’Afrique du Sud, et nous n’avons pas de tel protocole.

Q. Je présume que, pour que des documents soient délivrés à des Somaliens, ils sont tenus de présenter des preuves qu’ils disposent de fonds, un compte bancaire quelconque, qu’ils ont de l’argent ou des propriétés. Alors, comment faut-il procéder dans un tel cas? Peut-on se fier à de tels éléments?

R. Nous n’acceptons presque jamais la propriété comme preuve, en raison de la nature même de la propriété. Il est possible d’habiter à l’extérieur du pays et de toujours avoir une propriété; ainsi, le fait de posséder une propriété, à lui seul, n’est pas un facteur qui pousse quelqu’un à revenir. Nous examinerions les finances et nous examinerions probablement davantage les indicateurs indirects de la capacité financière, plutôt que les facteurs directs. La personne a-t-elle voyagé dans d’autres pays? Si elle a beaucoup voyagé, cela veut probablement dire qu’elle a un peu d’argent. S’il s’agit de son premier voyage, cela veut probablement dire qu’elle n’a pas d’argent.

Encore une fois, la qualité des documents à l’intérieur du pays est douteuse. Si la personne a de l’argent à l’extérieur du pays, il s'agit là d’un facteur que nous examinerions séparément et nous y accorderions plus de poids.
Q. Est-ce que les régions autonomes du Somaliland prévoient délivrer des passeports?

R. Non, à ce que je sache. Je crois qu’elles délivrent des passeports somaliens.

Q. Alors, est-ce qu’on tiendrait compte des passeports du Somaliland?

R. Non, encore une fois, de tels passeports ne seraient pas considérés comme étant acceptables parce qu’il n’y a pas de pays reconnu. Alors, encore une fois, il faut revenir au document de voyage d’aller simple.

Q. Savez-vous si les gens qui souhaitent venir au Canada proviennent principalement du Somaliland, qui est une région plus sûre ou plus riche?

R. Je ne sais pas. Ce genre de renseignement n’est probablement pas consigné dans notre système de traitement. A priori, je dirais que, du fait que le Somaliland est plus stable, il est plus probable qu’un VRT soit délivré à une personne qui vit dans cette région qu’à une personne qui vit à Baidoa.

Q. Pourriez-vous nous donner quelques observations au sujet des passeurs qui sont à l’œuvre en Afrique du Sud ou depuis ce pays?

R. Il y a un réseau assez complexe de passage de clandestins qui fait passer des migrants de l’Afrique du Sud en Amérique du Sud d’abord, puis en Amérique du Nord. Ces gens mènent leurs activités en Afrique du Sud. L’Afrique du Sud est un endroit où la corruption est répandue, si bien qu’il y a des gens corrompus à l’aéroport qui permettent à ces migrants de quitter le pays sans que leurs documents soient estampillés par les autorités sud-africaines, et les migrants poursuivent leur trajet à partir de là. De plus, la frontière sud‑africaine est très poreuse.

Ainsi, quand j’étais en Afrique du Sud pour mener des entrevues avec des demandeurs d’asile, il n’y avait rien d’inhabituel pour eux… il n’était pas rare qu’ils soient retournés en Somalie, puis retournés en Afrique du Sud à plus d’une reprise… ce va-et-vient entre les pays, alors oui. L’autre chose est que les Sud-Africains ne sont pas trop préoccupés par ce réseau de passeurs parce qu’il sort des gens du pays. Quand les gens sortent, ils ne se soucient pas, mais ils se soucient quand les gens entrent.

Q. Avez-vous plus de précisions au sujet des documents utilisés pour se rendre en Occident?

R. Non. À mon avis, cela dépendrait des circonstances, mais je ne sais pas quels documents sont utilisés. Souvent, les migrants auraient un passeport somalien et un visa délivré par un pays comme le Paraguay ou la Bolivie, alors ils se rendent à Asunción.

Q. D’accord. Est-ce que ces visas seraient authentiques?

R. Oui, mais probablement délivrés de façon irrégulière, probablement délivrés moyennant des frais.

Q. Le problème de documents, étant donné qu’il y a un pays à côté qui est le Djibouti, est-ce que c’est le même problème? Ils ne sont pas affectés par le problème de la Somalie?

R. Comme pays, c’est beaucoup plus sécure, et là c’est une ancienne colonie française où il y avait une documentation qui est assez bonne. Par contre, on sait bien qu’il y a toutes sortes de gens du Djibouti qui clament être des citoyens de la Somalie au lieu d’être Djiboutiens. C’est quelque chose qu’on a entendu dire depuis des années.

R. Donc, la question est de savoir si le Djibouti est plus stable? La réponse est que, à mon avis, le Djibouti est un pays plus stable, une ancienne colonie française, où la consignation des documents est bien meilleure, parce que les Français étaient très bons pour ce qui est de la consignation des documents. Toutefois, de façon anecdotique, nous sommes au fait de gens du Djibouti qui sont venus au Canada en prétendant être originaires de la Somalie; il est très difficile de le vérifier, car les Djiboutiens et les Somaliens ont des origines ethniques très proches; les clans sont différents, mais il demeure que ce sont des Somaliens.

Q. Savez-vous si IRCC ou l’ASFC reçoivent de l’aide des pays scandinaves pour mener à bien les vérifications?

R. Les pays scandinaves sont en général mieux disposés à nous communiquer ces renseignements. Les Hollandais, par exemple, refusent de le faire. Les Danois, les Suédois et les Norvégiens sont plus coopératifs et ces trois pays ont des diasporas somaliennes très importantes.

Q. Le temps file, les échanges ont été très intéressants, alors merci beaucoup.