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Richard Wex, président
Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada
344, rue Slater
Ottawa (Ontario) K1A 0K1
Par courriel
22 février 2021
Monsieur,
Merci de m’avoir demandé d’examiner le cadre d’assurance de la qualité de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada et des éléments sous-jacents. En résumé, le cadre est robuste si on le compare aux normes nationales et internationales et pourrait effectivement servir de modèle pour des tribunaux administratifs dans une situation semblable au Canada et à l’étranger. Je n’hésite aucunement à dire que le cadre est conçu de façon optimale pour assurer la qualité du processus décisionnel et un rendement élevé à la Commission dans l’avenir. Mes qualifications sont exposées à l’annexe A.
Contexte
La Commission est le plus grand tribunal administratif du Canada. Elle comprend quatre sections : la Section de l’immigration et la Section d’appel de l’immigration, qui traitent des questions touchant l’immigration, tout particulièrement les demandes de parrainage et l’interdiction de territoire; ainsi que la Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés, qui s’occupent principalement des questions liées à l’asile. Chacune de ces sections compte des bureaux dans diverses régions géographiques de l’ensemble du Canada. Les commissaires rendent chaque année environ 70 000 décisions.
Le précédent aperçu brosse un tableau modeste de la complexité avec laquelle la Commission doit composer. Voici d’autres détails permettant d’illustrer l’environnement exigeant dans lequel la Commission fonctionne :
- Les commissaires ne sont pas recrutés de la même façon : les nominations sont faites par la Commission à la Section de la protection des réfugiés et à la Section de l’immigration, mais par le gouverneur en conseil à la Section d’appel de l’immigration et à la Section d’appel des réfugiés. Cela a des répercussions sur les stratégies en matière de recrutement.
- La Commission doit établir des normes quantitatives et qualitatives et les respecter : elle doit rendre un grand nombre de décisions chaque année, et celles-ci doivent être de qualité acceptable, telle que l’ont définie les attentes des personnes qui comparaissent devant la Commission et les cours fédérales procédant aux contrôles judiciaires des décisions de la Commission. De plus, cette grande quantité de décisions doit résulter d’un processus équitable sur le plan qualitatif.
- La Commission doit répondre à de multiples intervenants externes : le Conseil du Trésor, le Parlement, les cours fédérales et le public. Ces intervenants ont des intérêts diversifiés – l’économie, l’efficience, l’efficacité, la légalité, l’équité et l’exactitude – qui ne sont pas toujours facilement conciliables.
- Le travail de la Commission est souvent publicisé : la politique en matière d’immigration et de protection des réfugiés est souvent source de débats publics et politiques, et la quantité et la qualité des décisions de la Commission, ainsi que l’équité de ses processus, font souvent l’objet d’un examen approfondi. À cet égard, il convient de souligner que la Commission doit donner effet aux valeurs canadiennes : s’assurer, d’une part, que les personnes qui comparaissent devant elle sont traitées dans le respect et le souci de leur dignité et, d’autre part, que les décisions qu’elle rend reconnaissent de manière exacte la qualité appropriée à ces personnes.
- La Commission doit souvent traiter avec des personnes vulnérables qui n’ont pas accès à des conseils juridiques. Les commissaires tiennent des audiences inquisitoires assez différentes des procédures accusatoires qui caractérisent le processus décisionnel des cours de justice et la plupart des arbitrages de tribunaux administratifs. Comme ils ne peuvent pas nécessairement compter sur le fait que la cause d’une personne est défendue par un représentant ou un avocat, les commissaires doivent souvent examiner en profondeur du matériel très sensible, n’ayant pour tout guide que leur formation et leur expérience.
- Le sujet sous-jacent du travail de la Commission est, à tous égards, intrinsèquement complexe. Le droit contemporain de l’immigration et du statut de réfugié est un écheveau de traités internationaux, de lois et de règlements nationaux, d’instruments non contraignants promulgués par des organes internationaux et nationaux, de décisions judiciaires et de pratiques passées de la Commission. Par ailleurs, le terrain sur lequel la Commission tire ses conclusions de fait évolue constamment, tout particulièrement en ce qui touche les questions relatives aux réfugiés, car les conditions dans les pays d’origine de ces personnes changent régulièrement. Le fait de rendre des décisions exactes qui traitent de façon similaire les personnes dans une situation similaire demeure un défi.
- Enfin, les commissaires jouissent d’un degré élevé d’indépendance judiciaire et ils ne peuvent pas faire l’objet d’une microgestion par les dirigeants de la Commission.
En général, les principes directeurs appuyant le cadre – la conformité, l’uniformité, l’équité, l’indépendance, la collaboration et le processus d’amélioration continue – sont conçus pour tenir compte de cet environnement intrinsèquement complexe. Le cadre est organisé autour des étapes d’un cycle d’amélioration continue : planifier, faire, surveiller et mesurer, et s’adapter.
À cette étape-ci, le cadre et ses éléments sous-jacents concernent principalement la Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés. La Section de l’immigration et la Section d’appel de l’immigration occupent une place moins importante, bien qu’elles adoptent toutes deux des pratiques semblables. Pour ce qui est de l’évaluation de la robustesse et du caractère optimal du cadre, j’ai tenu pour acquis que les pratiques concernant les réfugiés qui ne sont toujours pas mises en œuvre du côté de l’immigration le seront graduellement, et toute l’attention nécessaire sera accordée aux différences pertinentes dans le contexte opérationnel.
Le « cercle vertueux »
Les tentatives soutenues visant à établir des critères d’excellence accessibles publiquement qui s’appliquent au processus décisionnel d’un tribunal administratif et au rendement des organismes de réglementation sont relativement peu nombreuses : elles figurent à l’annexe B. Un exemple notable est le Model for Regulatory Excellence de l’organisme de réglementation de l’énergie de l’Alberta (Alberta Energy Regulator), un organisme toutefois bien différent de la Commission. L’organisme de réglementation est un organe directeur chargé de certaines fonctions décisionnelles qu’il exécute à la façon d’un tribunal quasi judiciaire. La Commission est essentiellement un organe décisionnel qui fonctionne beaucoup plus comme une cour de justice.
Dans le document de fond du conseil responsable des tribunaux administratifs et des cours de justice (Administrative Justice and Tribunal Council) du Royaume-Uni, le système de justice administrative a été envisagé comme un cercle vertueux : voir l’annexe C. Essentiellement, pour rendre des décisions administratives de qualité, il faut
bien faire les choses,
bien établir les choses et
rectifier les choses. J’examinerai ces éléments un à la fois en me rapportant au cadre.
Bien faire les choses
Bien faire les choses renvoie au fait de rendre des décisions exactes au moyen d’un processus pertinemment équitable. Le cadre est bien conçu pour faire en sorte que les commissaires rendent de bonnes décisions sur le fond, dans le respect de la procédure.
Comme nous le mentionnons à la section 3.6, « Outils de décision et de soutien », la Commission a mis au point un éventail d’outils qui « visent principalement à améliorer l’accès à l’information et la mobilisation horizontale des commissaires, ce qui améliore par la suite la qualité des décisions ». Sur le plan procédural, ces outils comprennent les Directives du président, conçues pour définir les principes directeurs applicables au moment de trancher et de gérer des cas, par exemple des cas liés aux enfants qui revendiquent le statut de réfugié ou aux personnes vulnérables. Sur le fond, ils comprennent des guides jurisprudentiels élaborés afin de veiller à ce que les décisions rendues soient uniformes d’un demandeur d’asile à un autre et d’un bureau régional à un autre. D’ailleurs, la portée légitimement vaste de ces guides a récemment été confirmée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt
Canadian Association of Refugee Lawyers v. Canada (Immigration, Refugees and Citizenship), 2020 CAF 196. Les stratégies décisionnelles de ce type font continuellement l’objet de contrôle et de révision en fonction d’une analyse objective fondée sur des paramètres établis (section 2.3).
Dans la même veine, la Section de la protection des réfugiés a la capacité de mettre en place des équipes spécialisées au sein desquelles les commissaires acquièrent « une expertise approfondie sur les questions liées aux conditions dans les pays, aux types de demandes d’asile, aux techniques d’interrogatoire et à la façon de traiter les demandes d’asile à caractère délicat et les demandeurs d’asile vulnérables » (section 3.7). Encore une fois, cela renforce l’exactitude sur le fond et l’équité procédurale des décisions.
Enfin, l’examen des motifs par les services juridiques (section 3.5) permet à la Commission de cerner les décisions qui recèlent des lacunes importantes. Idéalement, les motifs provisoires seraient examinés dans chaque cas, mais c’est plus réaliste dans les sections à faible volume que dans celles à volume élevé où les décisions doivent être rendues en temps opportun.
En général, le cadre définit des moyens appropriés de bien faire les choses.
Bien établir les choses
Le fait de
bien établir les choses consiste à habiliter les décideurs à rendre des décisions exactes sur le fond et équitables sur le plan procédural; autrement dit, cela suppose de calibrer les structures internes pour faire en sorte que les décideurs soient en position de
bien faire les choses. Une bonne partie du cadre est axée sur le fait de mettre en place des processus qui donnent aux commissaires les compétences et les connaissances dont ils ont besoin pour rendre des décisions exactes sur le fond et équitables sur le plan procédural.
Le cadre adopte une approche globale pour
bien établir les choses, à commencer par le recrutement fondé sur le mérite lorsque c’est possible de le faire (section 3.1), la formation et le mentorat des nouveaux commissaires (section 2.1), de même que le perfectionnement professionnel continu visant à fournir aux commissaires des mises à jour appropriées sur le fond et la procédure, y compris la rédaction des motifs (section 3.3). La présence du Secrétariat pour l’apprentissage des commissaires, dont la conception des programmes s’inspire des principes d’éducation aux adultes, est tout particulièrement notable et louable. La Commission possède aussi des groupes sur l’uniformité des décisions (section 3.7) chargés d’assurer l’uniformité d’un demandeur d’asile à un autre et d’un bureau régional à un autre, en vue de favoriser l’exactitude et l’égalité de traitement pour les personnes dans une situation similaire.
Qui plus est, ces processus font l’objet d’une révision dynamique dans le cadre du volet d’adaptation du cadre. Lorsque les vérifications et les initiatives de mesure de la qualité (section 6.1) le requièrent, la formation (section 6.2), les stratégies décisionnelles (section 6.3) et les programmes correctifs individuels (section 6.4) sont rajustés. Par conséquent, la surveillance continue du rendement alimente de manière globale le rajustement des principaux volets du cadre. C’est un moyen innovateur de répondre à l’environnement complexe dans lequel la Commission exerce ses activités.
Une innovation principale de l’organisation est la création de centres de la qualité (section 4.5). Ceux-ci auront un vaste mandat et deviendront sans aucun doute un pilier du cadre.
En général, le cadre définit des moyens appropriés de bien établir les choses.
Rectifier les choses
Rectifier les choses consiste à remédier aux décisions qui sont inexactes sur le fond ou contraires à l’équité procédurale. Les moyens les plus courants de rectifier les choses dans les organes administratifs sont l’appel interne et le contrôle judiciaire. La Commission a de tels mécanismes à sa disposition : la Section d’appel des réfugiés et la Section d’appel de l’immigration sont en mesure de
rectifier les choses, tout comme les cours fédérales.
Il est louable que la Commission se soit montrée proactive pour trouver d’autres moyens de
rectifier les choses.
Sur le plan quantitatif, la Section de la protection des réfugiés fonctionne avec un ensemble d’indicateurs de performance dans le cadre d’une « approche acceptée à l’échelle nationale pour les attentes en matière de rendement » (section 4.1). Au sein de la Commission, la production de rapports internes et externes garantit également un rendement solide (section 4.2).
Sur le plan qualitatif, la Commission sollicite des tierces parties pour effectuer des évaluations, par exemple des motifs de décision, afin de mesurer les décisions par rapport à un « ensemble de normes concernant la prise de décisions judicieuses » (section 5.1). Les mentors aident les commissaires à assurer la qualité de leurs décisions et de leurs processus décisionnels (section 3.4); au besoin, des programmes correctifs peuvent être mis en place (section 6.4).
Enfin, il existe un processus robuste pour traiter les plaintes concernant la conduite des commissaires, lorsqu’il leur est reproché de ne pas s’être montrés exact sur le fond ou d’avoir manqué à l’équité procédurale (section 5.4). Les plaintes et les réponses sont un moyen de
rectifier les choses, ce qui peut aussi étayer la révision des processus pour
bien établir les choses.
En général, le cadre établit des moyens appropriés de rectifier les choses.
Conclusion
Le cadre est un document très impressionnant, qui est bien soutenu par les éléments sous-jacents et qui représente les pratiques exemplaires pour
bien faire les choses,
bien établir les choses et
rectifier les choses. Le cadre est clair, complet et novateur dans tous les composants du « cercle vertueux » à suivre pour rendre des décisions administratives; il se veut une réponse exhaustive à l’environnement complexe dans lequel évolue la Commission.
Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments distingués,
Signée : Paul Daly
Annexe A : Curriculum vitæ abrégé
Expérience professionnelle sélectionnée
Actuelle (2019-) : Chaire de recherche de l’Université en droit administratif et gouvernance,
Faculté de droit (Section de common law), Université d’Ottawa; réviseur (temps partiel),
Environmental Protection Tribunal of Canada
Précédente : Chargé d’enseignement supérieur en droit public,
Faculté de droit, Université de Cambridge (2016-2019 et 2017-2019 : sous-directeur de la recherche aux études supérieures); professeur invité,
Université Paris II Panthéon-Assas (2017-2018); professeur adjoint, professeur agrégé et vice-doyen,
Faculté de droit, Université de Montréal (2012-2016); stagiaire en droit,
Lerners LLP (2011-2012); professeur remplaçant,
Faculté de droit, Université d’Ottawa (2010-2011)
Études
2007-2010 Ph.D.
Université de Cambridge, Faculté de droit et Queens’ College
2006-2007 LL.M.
Faculté de droit de l’Université de la Pennsylvanie
2005-2006 LL.M.
University College Cork
2002-2005 B.C.L.
University College Cork
Associations professionnelles sélectionnées
2017-Canadian Journal of Administrative Law & Practice (comité éditorial)
2012-
Barreau de l’Ontario
2009-Avocat (New York)
Expertise
Droit administratif : chercheur et enseignant actif dans de nombreux pays depuis 2005; décrit comme le principal spécialiste universitaire de droit administratif du Canada; auteur primé de dizaines d’ouvrages spécialisés, d’articles et de chapitres de livres et du blogue Administrative Law Matters, qui compte des lecteurs du monde entier; conférencier public bilingue recherché; participation soutenue à des programmes de formation pour la profession judiciaire et juridique; boursier cité plus de 50 fois par les cours et les tribunaux administratifs au Canada, en Irlande et en Australie.
Service de consultation et service public : a produit un rapport sur les procédures décisionnelles de la Commission du droit d’auteur; a rédigé un rapport d’expert sur la justice administrative pour une contestation constitutionnelle au titre de l’article 96 pour le tribunal de règlement des conflits au civil (Civil Resolution Tribunal) de la Colombie-Britannique (2020); a effectué un examen indépendant de la rédaction d’une décision et de la génération d’un dossier à la Commission canadienne de sûreté nucléaire; a agi comme consultant et conseiller dans de multiples dossiers devant la Cour suprême du Canada; actuellement sous contrat pour l’Autorité ontarienne de réglementation des services financiers et l’Autorité canadienne en valeurs mobilières; agit comme membre à temps partiel d’un tribunal administratif fédéral.
Annexe B : Liste des publications sur l’excellence des organismes de réglementation et des tribunaux
Alberta Energy Regulator,
The Alberta Model for Regulatory Excellence (AER, Calgary, 2016)
Coglianese, Cary,
Listening, Learning, Leading: A Framework for Regulatory Excellence (programme de réglementation de l’Université de la Pennsylvanie, Philadelphie, 2015)
Daly, Paul,
Independent review of structure and organization of Commission’s records of decision (Commission canadienne de sûreté nucléaire, Ottawa, 2020)
Daly, Paul,
Pratiques exemplaires en matière de prise de décisions administratives : Examen de la Commission du droit d’auteur du Canada sous un éclairage comparatif(Patrimoine Canada, Ottawa, 2016)
Tomlinson, Joe et Robert Thomas, « Administrative justice – A primer for policymakers and those working in the system » (UK Administrative Justice Institute, Colchester, 2016)
United Kingdom Administrative Justice Institute,
A Research Roadmap for Administrative Justice (Nuffield Foundation, Londres, 2018)
Annexe C : Le cercle vertueux
Format texte
Bien faire les choses la première fois - prise de décisions initiale
Rectifier les choses - choisir entre divers redressements possible
Recherche d'amélioration continue au moyen de la rétroaction
Accessible à l’adresse suivante